I
après la guerre* nous avons faits le ménage
l’ordre quel qu'il soit ne se fait pas tout seul
nous avons repoussés les gravats sur les bords des routes
pour laisser passer les voitures remplies de cadavres
nous nous sommes embourbés dans la fange et la cendre
les ressorts de canapésles échardes de verre
et les chiffons sanglants
nous avons traînés une poutre pour soutenir le mur
vitrés la fenêtre et raccrochés la porte sur ses charnières
ce n'était pas photogénique
alors toutes les caméras sont parties pour une autre guerre
il fallut refaire les ponts et les gares
les manches s'effilochèrent à force d'être retroussées
quelqu'un le balai à la main se souvient encore de comment c'était
un autre l’écoute acquiesçant de sa tête presque intacte
mais déjà à côté d'eux il y en a qui s’ennuient
quelqu'un parfois encore déterrera de dessous un buisson des arguments rongés par la rouille et les portera sur un tas d'ordures
ceux qui savaient de quoi il s'agissait ici doivent céder la place à ceux qui en savent peu
et moins que peu
et enfin rien du tout
dans l'herbe qui a recouvert les causes et les effets
je me suis coucher un épi entre les dents
puis j’ai baillé aux corneilles
dans les nuages
* Sarajevo 1995